H. Kleinschmidt: Understanding the middle ages

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Titel
Understanding the middle ages: The transformation of ideas and attitudes in the medieval world.


Autor(en)
Kleinschmidt, Harald
Erschienen
Woodbridge 2000: Boydell & Brewer
Anzahl Seiten
424 p.
Preis
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Martin Roch

Voici un ouvrage ambitieux, qui vise à présenter une «histoire conceptuelle de la culture médiévale» (non une «histoire culturelle»). Pour ce faire, H. Kleinschmidt choisit d’étudier non pas certains concepts en soi, mais plutôt les actions dans lesquelles les concepts furent traduits, ainsi que les changements subits par ces actions dans le temps; et il justifie cette méthode comme étant plus pertinente dans le cas de la culture médiévale, caractérisée par l’importance, voire la prédominance, de la communication orale (cf. p. 1).

L’auteur a donc effectué un choix de concepts dans la double perspective de «l’Europe» et de «la culture», et a divisé son ouvrage en quatre grandes parties, respectivement intitulées «Généralités», «Action», «Interaction», et «Images de l’ordre». A l’intérieur de chaque partie sont abordés des thèmes tels que «l’expérience du temps», «conceptions de l’espace», «les groupes», «production et distribution», «la guerre», «commémorer le passé», «mouvements de personnes et de groupes», «gouvernement et représentation» – pour n’en citer que quelques-uns.

Recourant dès l’Introduction à M. Foucault, qui définissait comme «espaces de communication» des unités temporelles, spatiales et sociales à l’intérieur desquelles la communication directe est possible, Kleinschmidt affirme d’abord que les concepts sont propres à des «espaces de communication» précis, et qu’il entend donc «historiciser» les concepts étudiés, en respectant leur insertion dans des contextes spécifiques (cf. p. 1–3). Une première remarque s’impose à ce point: comme la définition des «espaces de communication», ces fameux «concepts» sont essentiellement ceux de l’anthropologie et des sciences sociologiques et politiques modernes, et non ceux des penseurs médiévaux. Sont ainsi abondamment cités ou discutés des auteurs comme Heidegger, Husserl, Kant, Malinowski, Habermas, Clausewitz ou Lévi-Strauss (liste non exhaustive!).

Pour ceux que pourraient rebuter l’accumulation des «concepts» et des termes spécialisés – pour ne pas dire, dans certains cas, du «jargon» –, l’auteur s’efforce à la clarté: presque chaque nouvelle partie du livre et chaque chapitre sont précédés d’une introduction, et leur contenu est ensuite résumé en une conclusion; termes et concepts sont généralement définis en détail; une table chronologique, un Index bien fourni et une abondante bibliographie thématique – essentiellement en anglais, allemand et français – complètent l’assistance au lecteur. Enfin, l’ouvrage est rédigé en un anglais aisément compréhensible, quoique pas toujours élégant – l’auteur n’étant apparemment pas de langue maternelle anglaise, l’éventuel reproche s’adressera plutôt à l’éditeur.

Ceci dit, cette «histoire conceptuelle» parvient-elle à son but? Certaines sections de l’ouvrage sont tout à fait intéressantes, comme par exemple l’analyse détaillée d’un récit de Grégoire de Tours, qui permet à l’auteur de mettre en évidence le rapport passant entre communication et organisation sociale (cf. p. 225–228), ou la mise en relation de différentes formes de communication (dans la partie consacrée à «l’Interaction»).

Cependant, et tout en reconnaissant que l’auteur multiplie les efforts pour nuancer ses analyses et mettre en garde contre certaines généralisations (il critique, bien sûr, une conception uniforme du «Moyen Age»), Understanding the middle ages manque bien souvent de précision dans la présentation de ses sources, et infère des généralisations hasardeuses ou abusives d’une documentation, certes abondante et variée, mais peu ou mal mise en contexte. Le lecteur se trouve donc confronté aussi bien à des affirmations mal étayées, voire erronées, qu’à des analyses qui enfoncent des portes ouvertes.

Un exemple de ces problèmes peut être trouvé dans un paragraphe mentionnant le déplacement, dans le haut Moyen Age, des cimetières vers les églises. A partir de cette constatation, l’auteur conclut que «les liens entre les vivants et les morts comme membres de groupes de parenté furent coupés» (p. 39) et relie à cette assertion l’affirmation que l’Eglise encourageait les nouveaux convertis à se séparer de leurs parentés et à entrer dans des monastères, donc à distribuer tous leurs biens et à vivre en dépendance de l’Eglise (cf. p. 39–40). Un tel enchaînement d’affirmations est hautement problématique: d’abord, déduire du déplacement des cimetières la «coupure» des relations entre les vivants et les morts d’une même parenté constitue une formulation pour le moins absolue. Par ailleurs, en l’espace d’un même paragraphe – que j’ai dû résumer ici –, l’auteur juxtapose sans transition les siècles et les régions (citations de la Capitulatio de partibus Saxoniae de Charlemagne, des Vitae sancti Bonifatii, d’écrits d’Avit de Vienne et de la Règle de Césaire d’Arles). Il est évident que, de la sorte, causes et conséquences, phénomènes parallèles ou simplement analogues, se télescopent sans que se dégage un tableau d’ensemble clair et convaincant. Enfin, – et il s’agit d’une note récurrente dans l’ouvrage –, l’Eglise est présentée comme un bloc, formé d’un clergé uniforme, toujours animé d’une volonté de contrôle et de pouvoir, et doué d’une particulière clairvoyance à l’égard des enjeux présents, voire de l’avenir; en même temps, l’auteur semble hésiter constamment entre l’usage des termes «catholique» et «chrétien», qui devraient être définis et employés avec plus de rigueur.

Une des qualités de l’ouvrage réside dans ses illustrations: une cinquantaine de bonnes reproductions, qui font partie des documents sur lesquels l’auteur appuie ses analyses. On retrouve malheureusement ici les défauts indiqués ci-dessus, et principalement le manque d’une réelle critique des documents historiques: si les images sont implicitement présentées comme étant représentatives – mais le lecteur se méfie désormais de tels non-dits –, leur commentaire amène en fin de compte soit à des constatations de pures évidences, soit à des conclusions discutables (cf. p.ex. les images comparées p. 82–85, et p. 188–191).

Ces problèmes sont irritants car ils entachent un projet intéressant et un ouvrage d’excellente qualité matérielle. Ils sont d’autant plus irritants que le médiéviste, souvent déjà ouvert à des notions élaborées par d’autres sciences humaines, aurait certainement encore à gagner en confrontant son travail à des définitions et à des applications de concepts jugés particulièrement opératoires. Encore faut-il que l’usage de ces «concepts» ne devienne ni un carcan écrasant la diversité et la complexité propres à l’histoire, ni un filet aux mailles si lâches qu’il laisse passer quantité d’éléments trop petits, délicats et subtils... Understanding the middle ages est donc un ouvrage où se mêlent le bon grain et l’ivraie: au lecteur d’y prendre garde. Quant à une «histoire conceptuelle» de la culture médiévale, elle reste probablement encore à faire.

Citation:
Martin Roch: compte rendu de: Samuel Jordan: Harald Kleinschmidt: Understanding the middle ages: The transformation of ideas and attitudes in the medieval world. Woodbridge, The Boydell Press, 2000. Première publication dans: Revue Suisse d’Histoire, Vol. 54 Nr. 4, 2004, p. 456-457.

Redaktion
Veröffentlicht am
13.01.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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